En tant que kinésithérapeutes spécialisés dans la rééducation des coureurs, nous sommes constamment à la recherche de moyens d’améliorer nos techniques. Aujourd’hui, nous allons plonger dans un sujet qui pourrait bien bouleverser votre approche de la stabilisation de la hanche : le petit fessier.
Ce muscle, souvent éclipsé par son grand frère le moyen fessier, joue en réalité un rôle crucial dans la biomécanique de la course à pied. Préparez-vous à remettre en question vos connaissances et à découvrir comment ce petit muscle pourrait avoir un impact majeur sur votre pratique !
Le petit fessier : bien plus qu’un simple abducteur
Anatomie et fonction traditionnelle
Le petit fessier est le plus profond des trois muscles fessiers. Il s’insère sur la face externe de l’ilium, entre les lignes glutéales antérieure et inférieure, et se termine sur le grand trochanter du fémur. Traditionnellement, on lui attribue principalement un rôle d’abducteur de hanche et de stabilisateur du bassin lors de l’appui unipodal.
Cependant, des études récentes utilisant l’électromyographie (EMG) intramusculaire ont révélé que son rôle est bien plus complexe et important que ce que l’on pensait jusqu’à présent.
Nouvelle compréhension basée sur l’étude EMG
Une étude révolutionnaire publiée dans la revue « Gait & Posture » en 2020 a utilisé des électrodes EMG intramusculaires pour analyser l’activité des différents segments du petit fessier pendant la course. Les résultats ont mis en lumière des informations surprenantes :
– Le petit fessier n’est pas un muscle homogène, mais se compose de deux segments distincts : antérieur et postérieur.
– Ces segments ont des patterns d’activation différents pendant la course.
– Le segment antérieur du petit fessier présente une activité unique et inattendue pendant la phase oscillante de la course.
La révélation : un rôle unique pendant la phase oscillante de la course
Résultats surprenants de l’étude EMG
L’étude a révélé que le segment antérieur du petit fessier présente un pattern d’activation biphasique pendant la course :
1. Une première activation importante pendant la phase d’appui, comme on pouvait s’y attendre.
2. Une deuxième activation significative pendant la phase oscillante, ce qui était totalement inattendu.
Cette découverte est d’autant plus intéressante que les autres muscles fessiers (moyen fessier et segment postérieur du petit fessier) ne présentent pas cette activation pendant la phase oscillante.
Implications pour la stabilité de la hanche pendant la course
Cette activation unique du segment antérieur du petit fessier pendant la phase oscillante suggère qu’il joue un rôle crucial dans :
– La stabilisation de la tête fémorale dans l’acétabulum pendant que la jambe se balance vers l’avant.
– Le contrôle de la rotation interne et de l’adduction de la hanche pendant cette phase critique du cycle de course.
– La préparation du membre inférieur pour le prochain contact avec le sol.
Pourquoi cette découverte change tout?
Impact sur notre compréhension des pathologies de hanche chez les coureurs
Cette nouvelle compréhension du rôle du petit fessier nous oblige à reconsidérer notre approche de nombreuses pathologies courantes chez les coureurs :
– Syndrome de la bandelette ilio-tibiale
– Syndrome fémoro-patellaire
– Tendinopathie du moyen fessier
– Conflits de hanche antérieurs
Il est possible que certains de ces problèmes soient liés à une dysfonction du segment antérieur du petit fessier, en particulier pendant la phase oscillante de la course.
Remise en question des approches traditionnelles de renforcement
Les exercices de renforcement traditionnels pour les fessiers se concentrent souvent sur :
– Les abductions de hanche en position couchée
– Les « clamshells » (ouvertures de hanche en position couchée sur le côté)
– Les ponts fessiers
Bien que ces exercices aient leur place dans un programme de rééducation, ils ne ciblent pas spécifiquement l’action unique du segment antérieur du petit fessier pendant la phase oscillante de la course.
Nécessité de repenser nos protocoles de rééducation
Cette découverte nous pousse à développer de nouveaux exercices et protocoles de rééducation qui :
1. Ciblent spécifiquement le segment antérieur du petit fessier
2. Reproduisent les demandes fonctionnelles de la course, en particulier pendant la phase oscillante
3. Intègrent des exercices dynamiques qui challengent la stabilité de la hanche dans différents plans de mouvement
Comment intégrer ces nouvelles connaissances dans votre pratique?
Évaluation fonctionnelle pendant la course
Pour mieux évaluer la fonction du petit fessier chez vos patients coureurs, considérez :
– L’analyse vidéo de la course à différentes vitesses
– L’observation de la stabilité du bassin et de la hanche pendant la phase oscillante
– L’utilisation de tests fonctionnels dynamiques qui reproduisent les demandes de la course
Exercices ciblant spécifiquement le petit fessier antérieur
Voici quelques suggestions d’exercices à intégrer dans vos programmes de rééducation :
1. Marche avec résistance élastique en rotation externe
– Cet exercice cible le petit fessier tout en reproduisant un mouvement fonctionnel
2. Fentes latérales avec rotation du tronc
– Sollicite le petit fessier dans son rôle de stabilisateur de hanche
3. Step-up avec contrôle excentrique
– Reproduit les demandes de la phase oscillante de la course
4. Équilibre unipodal avec mouvement du membre oscillant
– Challenge la stabilité de la hanche de manière similaire à la course
5. Exercices de « running man » sur plan instable
– Simule les forces agissant sur la hanche pendant la course
Adaptation de vos programmes de rééducation
Pour intégrer efficacement ces nouvelles connaissances :
– Commencez par des exercices isométriques ciblés pour « réveiller » le petit fessier antérieur
– Progressez vers des exercices dynamiques qui reproduisent les demandes de la course
– Intégrez des exercices spécifiques à la phase oscillante dans vos programmes
– Utilisez des feedback visuels et tactiles pour améliorer la conscience corporelle du patient
– Combinez le renforcement avec un travail sur la technique de course
Vers une nouvelle ère dans la rééducation des coureurs
La découverte du rôle unique du petit fessier antérieur dans la stabilisation de la hanche pendant la course ouvre de nouvelles perspectives passionnantes pour la prise en charge des coureurs. Cette compréhension approfondie de la biomécanique de la hanche nous permet d’affiner nos techniques de rééducation et potentiellement de prévenir certaines blessures courantes.
Cependant, de nombreuses questions restent en suspens :
– Comment pouvons-nous optimiser l’activation du petit fessier antérieur pendant la course ?
– Quels exercices sont réellement les plus efficaces pour cibler ce muscle spécifique?
– La rééducation ciblée du petit fessier pourrait-elle prévenir certaines blessures courantes chez les coureurs ?
Ces questions ouvrent la voie à de futures recherches et à l’innovation continue dans notre domaine.